Des « flétrissements » au fer rouge, des pendaisons (y compris de cochon, il n’y a pas de raison), des duels au soleil, des émeutes, des procès, des seigneurs brigands, des saigneurs de toutes sortes, des sorcières, des cocus, des galères, des mannequins décapités et des morts ressuscités. Bienvenue dans le grand cirque de la justice. Cette définition tri-partite existait déjà au Moyen-Age. En effet, durant la période féodale l’autorité était morcelée, conséquence d’une influence limitée du pouvoir royal. Les seigneurs rendaient la justice.
Chaque seigneur était contraint d’avoir pour sa seigneurie un juge qui devait prononcer le droit, un procureur et un greffier. Mais à l’époque féodale (comme de nos jours) les sentences de ce juge prononcé au nom du seigneur haut-justicier pouvaient être portées en appel devant une juridiction supérieure à celle du seigneur. Autrement dit, auprès du suzerain du seigneur, c’est à dire, dans notre contrée, le comte de Forez. Mieux encore, étant donné que les comtes de Forez avaient recherché la protection des rois de France, l’appel pouvait être porté auprès de la justice royale, la plus proche étant celle du baillage de Mâcon en Bourgogne jusqu’en 1313, puis après 1313, celle de la sénéchaussée de Lyon. A partir du XVe siècle, les sentences de la cour de Forez peuvent être portées devant l’autorité suprême, celle du Parlement de Paris. Mais il s’agit d’une procédure longue et difficile et les facultés d’appel ne concernent que les riches. Nous verrons cependant quelques belles résistances paysannes. Conflits d’intérêt au Moyen-Age L’autorité judiciaire au Moyen-Age n’était pas aux seules mains des laïcs. Ainsi à Saint-Rambert , le prieur (chef du prieuré) avait toute justice, haute, moyenne et basse et même « dernier supplice » sur Saint-Rambert et les paroisses voisines.
Ce droit de justice allait de la mutilation d’un membre à la peine de mort. Le prieuré de Saint-Rambert fut le seul parmi les monastères foréziens à avoir le privilège de faire exécuter sur ses terres les sentences rendues par son prieur. En effet si certains seigneurs ecclésiastiques avaient le droit de haute justice sur leurs terres, l’Église répugnait à y faire exécuter la sentence. Citons J.B. Galley dans son ouvrage « Le régime féodal dans le pays de Saint-Étienne aux XIVème et XVIIème siècles » : « La justice dans les mandements d’abbayes et de prieurés présente cette particularité que la magistrature de par son caractère religieux s’est toujours refusé à l’exécution des peines corporelles qui entraînent la mort ou simplement l’effusion de sang. » Et l’auteur de citer le cas de l’abbaye de Valbenoîte qui passa un accord avec le seigneur de Saint-Priest pour que les sentences soient exécutées sur les terres laïques de ce dernier. La justice étant un apanage de la puissance féodale, et donc de la domination des seigneurs sur les populations travaillant sur leurs terres. Son exercice donna lieu à des conflits d’intérêt. A Saint Romain-le-Puy en 1236 un différend survint entre le prieur et le comte Guy IV du Forez. Après bien des discussions, une transaction fut conclue entre les deux parties, transaction confirmant pour le premier, l »abandon du droit de haute justice au profit du comte du Forez. Et pour ce-dernier la garde du château protégeant le prieur; les profits du droit de haute justice étant malgré tout partagés entre les deux. En effet, le nœud du problème résidait dans le fait que l’exercice de la justice procurait aux seigneurs des revenus non-négligeables, par un système d’amendes qui concluaient le plus souvent les débats. « Les rivalités seigneuriales imposèrent des limites de justice précisant la compétence de chaque plaid (tribunal ndlr), haute et basse justice. » ( in Le Moyen-Age en Occident de M. Ballard, J.-PH. Genet, M. Rouche). Un autre exemple : en 1291, une charte de franchise fut concédée par le Comte de Forez au profit des habitants de Saint-Haon le Chatel. Mais si celle-ci autorisa les habitants de Saint-Haon le Chatel à élire quatre consuls, l »exécutif et la justice restaient du ressort du capitaine-châtelain, assisté d »un prévôt. Et à travers eux, du comte de Forez. Toujours pour les mêmes raisons pécuniaires. Ce n’est qu’avec le renforcement continu de l’autorité royale que l’extrême fragmentation des pouvoirs judiciaires commença à être corrigée au profit de la monarchie. L’affaire Baffie On aurait tort de croire que seuls les humbles gens étaient justifiables à merci. L’affaire Guillaume de Baffie, seigneur de Montarcher en est l’illustration. Sa conduite peu honorable devait lui coûter son fief. En effet le système féodal reposait sur un double contrat. D’abord entre le seigneur et ses serfs ou paysans dont il tire profit mais dont il doit assurer la protection. Contrat descendant si on peut dire. Mais aussi contrat ascendant, entre le seigneur et un seigneur plus puissant, en l’occurrence le Comte de Forez dont il est le vassal. Bref des droits et des devoirs régissent l’organisation sociale en forme de pyramide. Or, notre ami Guillaume de Baffie, au lieu de combattre des brigands et leur chef , un certain Vertamise qui avaient rançonné le village de Marols (dépendant de sa juridiction) n’avait rien trouvé de mieux que de festoyer avec eux ! Le comte de Forez (Guy V sauf erreur) décida une enquête à ce sujet. Elle fut menée par Henri de Ponceans, connétable d’Auvergne et Raoul de Sens, bailli de Bourgogne. Le procès eut lieu en 1242 à Montbrison. Dix-neuf témoins furent entendus et la preuve fut faite que les brigands étaient à la solde du Seigneur de Montarcher. Guillaume de Baffie fut dépossédé de son fief et Montarcher passa aux mains de Robert de Saint-Bonnet, puis plus tard au profit de la famille de Lavieu. Résistances paysannes Une autre affaire en 1455 vient illustrer la résistance des paysans face à l’arbitraire seigneurial. Comme le fait remarquer l’indispensable Galley, il s’agit d’une résistance collective car il faut payer le procureur et soutenir le procès. Une résistance personnelle paraissant insoutenable. Elle se passa à l’époque où le Comté de Forez dépendait de l’autorité des Ducs de Bourbon. Elle mena devant la justice comtale messire Gastonnet Gaste, capitaine de la chatellenie de Maleval (Pilat), accusé de » plusieurs violences et rançonnements « . La cour du comté ordonna une enquête et 91 témoins furent entendus. En revanche nous ne connaissons pas le fin mot de l’histoire. Voilà deux exemples qui pourraient détromper les mots fameux » selon que vous serez puissant ou misérable « . Mais nous verrons par la suite, en évoquant d’autres affaires, que la justice avait tendance à monnayer ses jugements avec les puissants. Et quand les Comtes de Forez manquaient à leurs devoirs envers un vassal ? Et bien il ne restait qu’à agir comme dans cette légende de Cornillon. Elle raconte que c’est pour se protéger des troupes du comte de Forez qu’il assassina, qu’un sire de Lavieu fit construire le château perché. Il est vrai aussi, selon la légende, que le comte avait violenté son épouse. Le poids de la morale – La cheminée aux cocus : le cas de l’adultère On peut voir encore dans le prieuré de Pouilly-les-Feurs, dans ce qui était au Moyen-Age la cuisine des moines, une cheminée cocasse : la » cheminée aux cocus « . Deux personnages nus, assis à l »envers sur un âne y sont sculptés. Ils rappellent le sort réservé aux maris infidèles, que le prêtre, après avoir confessés, invitait à entrer dans l »église vêtus d »un grand manteau pour cacher leur nudité. Ainsi accoutrés, ils pouvaient retourner auprès de leur épouse. Certes on imagine sans peine l’humiliation que devait causer au coupable comme au cocu cette coutume, mais prenons soin de rappeler qu’en d’autre lieux les fautifs étaient exhibés nus et menés à coups de fouet à travers les rues. A Saint-Christo en Jarez, une nuit de 1324, un dénommé Pierre Broart, marié, fut trouvé au lit en compagnie de sa maitresse par le mari de la dame. Ici aussi l’affaire ne se termina pas trop mal pour les fautifs. Menés manu militari au château de Chaignon, ils en furent quitte pour 30 sols d’amende. – Jean Papon et les lesbiennes Jean Papon dans son Recueil d »arrests notables des cours souveraines de France (qu’il écrivit peut-être dans son château de Goutelas ou dans sa demeure de Montbrison), évoque une affaire datant de l »année 1533. Elle ne s »est pas passée dans le Forez mais nous l »écrivons pour illustrer l’air du temps. Elle concerne deux lesbiennes confondues qui ne durent leur salut qu’à l’insuffisance des témoins : « Deux femmes se corrompans l »une l »autre ensemble sans masle, sont punissable à la mort : & est ce delict bougrerie, & contre nature. Tient ceste interpretation, dit qu »il se trouve femmes tant abominables, qu »elles suyvent de chaleur autres femmes, tout ainsi ou plus, que l »homme la femme. Et de ce furent accusées Françoise de l »Estage, & Catherine de la Maniere. Contre elles y eut tesmoins ; mais pour autant qu »ils estoient valablement rapprochez, l »on ne peut [put] sur leur deposition les condamner à mort. Et seulement pour la gravité du delict furent prinses les depositions pour indices, & sur ce lesdites femmes condamnees à la question* par le Seneschal des Landes, & par arrest depuis eslargies. » * la question = la torture, élargies = libérées Le feu de la Sainte Inquisition L’Église au Moyen-Age est une forteresse que l’hérésie menace. Pour lutter contre la propagation du » mal « , elle se dote d’un rempart terrible, la Sainte Inquisition, (créée par le Pape Grégoire IX en I233) qui entreprit de purifier le monde et les âmes par le feu. Appuyée par le bras séculier (souvenez-vous : l’Église condamne à mort, elle ne tue pas), elle fit régner la terreur et demeure le symbole de la cruauté et du fanatisme. En même temps qu’elle s’acharna à exterminer toute dissidence religieuse, elle se montra implacable dans sa chasse aux sorcières. Mais le vieux pays de Forez fut peu touché par les feux de l’Inquisition; ce qui constitue une certaine curiosité. Nous avons connaissance de deux affaires. La première concerne une sorcière, » la Marguerite « , qui se donna la mort à Chazelles, avant d’être livrée au bûcher en 1458. Voici une partie de la justice dans le Forez mais elle fut plus grande et plus rude!!!!’, ‘La justice dans le Forez’